The United Nations Office for Project Services (UNOPS)
Le théâtre, moteur de changement
Au Népal, une troupe de théâtre itinérante a permis à des communautés de régions isolées de se rassembler pour parler de discrimination, de violence, d’égalité entre les genres et d’accès à la justice.
En avril et mai 2015, un tremblement de terre et plusieurs répliques ont secoué le Népal, dévastant cette nation himalayenne. Le séisme a coûté la vie à près de 9000 personnes, fait plus de 20 000 blessés, et causé des dommages aux infrastructures du pays estimés à environ 10 milliards de dollars, soit près de la moitié du produit intérieur brut du Népal en 2015.
Depuis lors, à la suite de l’intervention humanitaire initiale, le pays a entrepris un travail de reconstruction gigantesque, et des écoles, des maisons et des communautés entières ont émergé des décombres grâce à un éventail de projets de développement.
Une équipe de l’UNOPS, qui travaille sur un projet de modernisation et d’amélioration des services de police du Népal financé par le ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement international, a eu la tâche de renforcer l’accès à la sécurité et à la justice pour les personnes vulnérables en améliorant les services de police et en construisant 58 bureaux de police au Népal.
Dans le cadre du processus de construction, l’équipe du projet a échangé avec des membres des communautés locales, particulièrement avec des femmes, pour connaître les obstacles à la sécurité et à la justice. Il était important de s’assurer que les différents services fournis par la police dans ces installations seraient utilisés et maintenus.
Les problèmes étaient les mêmes dans presque toutes les communautés : mariages d’enfants, violences domestiques, ainsi que la colère et la frustration des femmes face à l’accès difficile aux services de sécurité et de justice. De nombreuses femmes ont également expliqué que les normes sociales, qui en apparence ne peuvent être remises en question, les empêchaient d’exprimer leurs craintes par rapport à ces difficultés.
Ces échanges ont en outre révélé que les femmes des communautés rurales ne croyaient pas que le renforcement des services de police et de justice pouvait améliorer leur situation.
Pour remédier à cette situation, l’UNOPS et ses partenaires ont mis au point début 2019 une activité novatrice qui invitait l’ensemble des membres des communautés rurales concernées, y compris les membres de la police et du système judiciaire, à se rassembler et à avoir un dialogue ouvert au sujet des normes sociales qui cautionnent la discrimination et la violence envers les femmes. Les membres des services de police et de justice étaient également appelés à réfléchir aux normes et aux croyances sociales qui influencent leur travail.
La solution pour y parvenir était peu conventionnelle : un spectacle de théâtre itinérant. Après un appel d’offres, la troupe de théâtre Shilpee, basée à Katmandou et dont le nom est inspiré du mot sanskrit signifiant « artistes », a été sélectionnée pour monter une pièce. Celle-ci adoptait une approche participative, aussi connue sous le nom de « théâtre-forum », qui explore des scénarios de la vie réelle grâce à des dialogues entre le public et les acteurs. Les membres des communautés étaient invités à participer à la représentation, et ensuite à fournir des solutions aux problèmes rencontrés par les personnages de la pièce.
Habituellement, nous ne proposons pas nos services pour un travail de ce genre, mais celui-ci semblait être le bon. Nous avons eu la liberté artistique de faire de cette pièce la nôtre, tout en recevant le soutien et les conseils de l’UNOPS lorsqu’on en avait besoin. »
Ghimire et son équipe se sont immédiatement mis au travail pour écrire l’histoire et mettre la pièce de théâtre en scène, avec des commentaires réguliers de l’UNOPS et d’autres parties prenantes. L’UNOPS a aussi fait appel à des spécialistes pour fournir un avis important sur les principaux thèmes de la pièce, comme les violences domestiques, les mariages d’enfants, les jeux de hasard et l’abus d’alcool, ainsi que sur les solutions pour résoudre ces problèmes.
Après trois mois de préparations, le spectacle Kalpana ra Urmila Dukha Ma chan, qui signifie « Kalpana et Urmila souffrent », était prêt. La première de la pièce a eu lieu au théâtre de la troupe Shilpee, Gothale, qui tient son nom du célèbre dramaturge népalais Govinda Gothale. La représentation a été appréciée et a reçu des critiques positives de la part des journalistes présents. Le théâtre Gothale était le lieu idéal pour le nouveau spectacle étant donné que le bâtiment lui-même avait été construit par la communauté locale grâce à des dons de briques. La campagne « Donnez une brique et vous verrez un théâtre pousser » avait permis de récolter 70 000 dons de briques que les acteurs et auteurs avaient ensuite utilisées pour construire le théâtre de leurs propres mains, une tâche qui leur aura pris 10 mois.
La première présentation terminée, le moment était venu de prendre la route. La planification de la tournée était simple. Il fallait rejoindre 33 communautés où un nouveau bureau de police était en construction dans le cadre du projet d’amélioration des services de police.
Mettre le plan en pratique, cependant, s’est avéré bien plus difficile. Le terrain montagneux et les infrastructures routières souvent en mauvais état ont rendu le voyage difficile pour la troupe de théâtre itinérant, qui comptait 15 personnes dont 12 acteurs.
« Il y avait des endroits très difficiles d’accès. L’état des routes n’était pas idéal, particulièrement pour notre véhicule, un minibus », se rappelle Ghimire, qui était aussi le narrateur de la pièce.
La tournée a commencé à Birendranagar, dans le district népalais de Surkhet. Elle a ensuite continué dans l’est du pays, où la pièce était jouée principalement devant des communautés parlant le népalais, avant de se diriger vers des villages isolés du Népal. Par la suite, le spectacle a été présenté dans les plaines de l’est et du sud, où les langues tharu et maithili ont été adoptées dans la pièce.
À plusieurs reprises, nous avons dû nous arrêter loin d’un village où nous devions aller et terminer le chemin à pied, en portant tout notre équipement sur le dos pendant près d’une heure. Il y avait un générateur et le matériel d’éclairage. Nous devions ensuite tout ramener au minibus lorsque nous avions terminé. »
Les infrastructures routières étant peu fiables, il était peu commun pour les communautés vivant dans les montagnes de voir des véhicules. Accueillir une troupe de théâtre de la ville était donc un événement à ne pas manquer. Celles et ceux qui vivaient en périphérie se rendaient sur les places principales des villages, qui voyaient ainsi leur population gonfler le temps de quelques heures.
Lors de certaines performances, notamment à Rajapur, dans le district de Bardiya, et à Khalanga Bazaar, dans le district de Jajarkot, plus de 1200 personnes s’étaient rassemblées pour voir la représentation. Dans certains cas, le public était rejoint par le responsable de la police et par le chef du district, ainsi que par d’autres représentants élus, notamment des instances judiciaires locales.
La pièce traitait de problèmes communs ainsi que de normes sociales discriminatoires envers les genres, qui sont courantes dans de nombreuses familles népalaises. Elle soulignait en particulier les défis auxquels les femmes et les filles font souvent face. Compte tenu du format participatif, les personnes dans l’assistance prenaient également part aux discussions à la fin du spectacle, où des questions essentielles étaient soulevées et où les solutions s’offrant aux personnages pour avoir accès à des services de sécurité et de justice étaient soulignées.
Après 33 représentations dans 10 districts sur six semaines, la troupe Shilpee avait rempli sa mission.
Ghimire revient sur ce qui a été l’un des plus grands défis de sa carrière : « J’ai douté de moi tout au long du projet, mais lorsqu’il est arrivé à sa fin, j’ai réalisé à quel point ça avait été une expérience magnifique. Je n’ai pas les mots pour l’exprimer. »
C’est fabuleux que nous ayons joué dans un petit champ entouré de montagnes. On aurait dit un amphithéâtre. Nous nous sommes produits dans la cour d’un quartier. Nous faisions un théâtre de ce que nous trouvions. »
Pour l’équipe du projet, encourager les membres d’une communauté à identifier des normes sociales néfastes, avoir un dialogue sur le sujet et remettre ces normes en cause est la première étape pour remédier aux pratiques et aux comportements préjudiciables.
La pièce était une excellente manière d’amener les communautés à parler des obstacles auxquels elles font face lorsqu’elles ont recours aux services de police. »
« Cette approche participative était un outil important pour que les personnes réfléchissent à la fois aux obstacles auxquels elles font face à l’intérieur des communautés et dans leur relation avec la police. Centrer le théâtre sur des expériences réelles qui font ressortir des problèmes importants pour la population était une excellente idée », ajoute-t-elle.
Pendant et après les représentations, de nombreuses personnes ont partagé leurs expériences positives et leurs réflexions sur la manière de traiter les questions sociales. Dans certains cas, des membres des communautés ont partagé avec passion leurs histoires personnelles et souligné se reconnaître dans les personnages de la pièce. Ces personnes ont également exprimé leur volonté de s’opposer aux normes discriminatoires ainsi qu’à la violence lorsqu’elles en sont témoins.
Janak Raj Pant, chef du district de Jajarkot, a félicité la troupe d’avoir aussi bien présenté les problèmes et a ensuite expliqué quels bureaux il fallait contacter pour obtenir justice dans chaque cas présenté dans le spectacle.
[La pièce] a mis au jour les réalités de la vie rurale. Les jeux d’argent, les violences envers les femmes, la consommation d’alcool et bien d’autres thèmes ont été présentés d’une manière très réaliste. Les incidents représentés ne montrent pas uniquement les réalités, mais soulèvent également de nombreuses questions. Nous sommes extrêmement reconnaissants envers l’équipe. Chacun et chacune d’entre nous devrait élever la voix devant ces problèmes sociaux. »
Des représentants ont suggéré que la pièce soit également jouée dans d’autres zones et communautés du Népal. Certaines communautés ont aussi demandé à Ghimire et à sa troupe de revenir.
« Lorsque les gens disent “revenez”, c’est à ce moment-là que tu sais que ça valait la peine », souligne Ghimire.
« Il n’y a rien de plus beau que de savoir que les gens veulent nous voir jouer. C’est tellement hors du commun, mais si important. Quelque chose de nouveau pour ces communautés. Ça leur donne de l’espoir, et ça m’a beaucoup appris. »
À propos du projet
Le projet de modernisation et d’amélioration des services de police du Népal, financé par le ministère britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement international et mis en œuvre par l’UNOPS, vise à renforcer l’accès à la sécurité et à la justice pour les personnes vulnérables en améliorant les services de police et en construisant ou en améliorant des bureaux de police au Népal.
Le projet fait partie d’un important programme intégré du gouvernement népalais et du ministère britannique visant à renforcer l’accès aux services de sécurité et de justice pour les personnes pauvres et traditionnellement exclues au Népal, particulièrement pour les femmes et les filles.
Après le séisme de 2015, le projet a élargi son champ d’action pour inclure davantage de districts gravement touchés, ajoutant neuf chantiers aux 20 bâtiments initialement prévus. Par la suite, 29 bâtiments ont été ajoutés dans le cadre des phases 2 et 3 du projet. Jusqu’à présent, 30 nouveaux bâtiments ont été achevés et 28 autres sont en construction, principalement dans des régions rurales. Plusieurs remplacent des bâtiments qui avaient été détruits au cours du conflit qui avait déchiré le pays pendant plus de dix ans, pour finalement prendre fin en novembre 2006.